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Ce que cherche Jacques Tati dans cette séquence (comme dans beaucoup d'autres !) c'est à rappeler qu'il suffit de s'extraire d'une scène même stressante comme un embouteillage et de poser un regard humain et bienveillant pour plonger dans un univers poétique.
La rue, comme terrain de jeu des gamins, n'est plus, et l'on peut, à l'instar de Tati en être nostalgique, mais elle a gardé bien d'autres fonctions sociales.
Tati, pour ce quatrième film, nous entraîne dans le sillage d'un groupe de touristes américaines fraîchement débarqué à Orly (flambant neuf dans la réalité!). Nous découvrons avec elle une ville nouvelle (le terme allait faire du chemin), aux lignes épurées et froides, aux buildings de verre et d'acier, trouée de larges artères rectilignes vouées à l'automobile triomphante (Tati use de cadrages et de plans magnifiques pour la mettre en scène). Monsieur Hulot est là aussi, ayant manqué un rendez-vous, qu'on présume professionnel, il arpente d'interminables couloirs, se perd dans des bureaux anonymes, se fait avaler par des ascenseurs, erre dans un salon d'exposition, provoque des rencontres : semant sur son passage désordre et confusion, à son corps défendant !
Ce véritable parcours du combattant, parsemé de gags, le conduira jusqu'à une scène hallucinante de Playtime : la soirée inaugurale du Royal Garden, restaurant chic et prétentieux, qui ouvre ses portes alors que les ouvriers y travaillent encore.
Hulot y retrouvera une charmante américaine avec laquelle il participera à la jouissive métamorphose du palace en bastringue parisien populeux et bruyant !
Cette transformation d'une réalité désagréable en un monde rêvé ou regretté est récurrente chez Tati.
Les trouvailles visuelles et sonores qui émaillent cette scène (quasiment indépendante, « film dans le film », longue et au crescendo effréné proche de la transe), en font un grand moment de cinéma. Au petit matin, chacun reprendra le cours de sa vie, l'idylle naissante restera sans lendemain et les touristes ne verront de Paris que des reflets dans les vitres des gratte-ciels et de l'autocar qui les reconduit à l'aéroport...Touche d'espoir, le dernier plan du film, où un gigantesque embouteillage se mue en fête foraine par la grâce poétique de Tati.
Jacques Tatischeff naît aux environs de Paris le 9 octobre 1907. Promis à la succession de son père, encadreur, il abandonne les études pour devenir mime. Il présentera sur scène puis dans des courts métrages, ses « pantomimes sportives ». En 1947, il réalise ainsi L'école des facteurs, esquisse prometteuse de son premier long métrage sortant la même année : Jour de Fête. Le succès, critique et public, salue cette première œuvre. Revendiquant fièrement la filiation avec les grands burlesques américains, Chaplin et Keaton en tête, Tati impose un style personnel et décalé, un cinéma muet et très sonore : un grand cinéaste comique est né !
En 1953, Les Vacances de Monsieur Hulot remporte un triomphe international, notamment aux Etats-Unis.
C'est la première apparition à l'écran du personnage emblématique auquel le cinéaste prêtera désormais sa haute silhouette. Mon Oncle sort en 1958 et reçoit les plus prestigieuses distinctions : Prix Spécial du Jury à Cannes et Oscar du Meilleur Film Etranger à Hollywood.
Tati repoussera alors les plus alléchantes propositions, attaché à son indépendance et à sa liberté de création : nous échapperons ainsi à Monsieur Hulot au ski, A New York, ...dans l'espace ou ailleurs ! Le public découvre avec délectation un cinéma drôle et stylisé, basé sur une observation minutieuse et tendre de l'homo sapiens dans un monde en pleine mutation. Les bienheureux amoureux du cinéma de Jacques Tati, confrontés dans la vraie vie à des bruits insolites, des bribes de conversations ou à des scènes de rue à l'issue incertaine, potentiellement cocasses, se sont tous dits un jour: « on dirait du Tati ! »
Playtime, quatrième opus, est présenté en 1967 et subit un échec retentissant, à la mesure de l'ambition du projet et de son coût; la critique et le public déçus ne s'y retrouvent pas dans cette œuvre gigantesque (152 puis 137 min.), foisonnant de détails où Hulot lui-même semble noyé dans la luxuriance de chaque plan (tourné en 70 mm).
Un film à voir et à revoir et à découvrir à chaque projection !
Jacques Tati ne se relèvera jamais de cet échec. Les sorties de Trafic en 1971 et de Parade en 1973 n'apaiseront pas l'amertume de leur auteur. Les dernières années sont douloureuses : il est ruiné, privé des revenus de ses quatre premiers films, gravement malade. Pourtant Tati est honoré en 1977 par l'académie des Césars, pour l'ensemble de son œuvre, exemplaire et cohérente: 6 films en 35 ans ! Il achèvera l'écriture de ce qui devait être son prochain film : Confusion.
Jacques Tati meurt d'une embolie pulmonaire le 4 novembre 1982.
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