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Saturnales chez les romains, ducasses ou foires médiévales, feux de la Saint-Jean, Jour des fous, carnavals, techno-parades, fête des immeubles, sont des ciments de la vie urbaine... et garantissent l'urbanité des jours ordinaires.
Car le corps social n'a pas seulement besoin de grand-messe fédératrice, il a aussi besoin d'exutoires.
La vie en ville génère des tensions qu'il convient de relâcher avant qu'elles ne tournent en mécontentements, voire en révoltes.
Les diverses fêtes, sacrées ou païennes, qui rythment l'année participent donc à la paix sociale en raison même des débordements qu'elles suscitent.
« Alors les ecclésiastiques au milieu du choeur s'y livraient à toute espèce de folies et de désordres ; les uns y dansaient, sautaient, d'autres, pendant la célébration de la messe, venaient sur l'autel même jouer aux dés, jeu alors sévèrement prohibé, y buvaient, y mangeaient de la soupe, des boudins, des saucisses, les offraient au prêtre célébrant sans les lui donner, faisaient brûler dans un encensoir de vieux souliers et le forçaient à en respirer la désagréable fumée.
Après cette messe, le désordre, les extravagances, les profanations prenaient un nouveau caractère de gravité.
Les ecclésiastiques enhardis par l'usage et par les fumées bachiques se livraient au délire d'une joie grossière et bruyante et offraient l'image des antiques saturnales qui se célébraient à la même époque. Des sauts, des danses lascives, des luttes, les gestes de la luxure, les cris, les chansons obscènes étaient les principales actions de cette orgie ecclésiastique, mais n'en étaient pas les seules.
On voyait des diacres, des sous-diacres enflammés par le vin, se dépouiller et se livrer entre eux aux débauches les plus criminelles.
D'autres, chez lesquels la colère avait succédé à la joie, augmentaient le vacarme en se querellant, en se battant.
Il arrivait quelque fois que le sol de l'église était ensanglanté.
La fête ne se bornait pas là. Les ecclésiastiques, sortis de l'église, se répandaient dans les rues ; les uns montés sur des tombereaux chargés de boue et d'ordures, s'amusaient à en jeter sur la foule du peuple qui les suivait, et marchaient ainsi en triomphe dans les places et les rues assez larges pour le passage d'un tombereau. »
Extrait de Histoire physique civile et morale de Paris de Jacques-Antoine Dulaure, 1854.