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Le confortement de la IIIème République, après 8 années de dépression collective (défaite de 70, la Commune et son écrasement, les querelles médiocres des orléanistes et des légitimistes), jette dans la rue des centaines de milliers de parisiens à l'occasion de la cérémonie de clôture de l'Exposition Universelle de 1878.
Le drapeau tricolore, éminemment symbolique après la ridicule controverse des monarchistes à son sujet, pavoise tout Paris.
On danse, on chante, on défile pendant 24 heures : la France se réveille républicaine !
Des coups de canon me réveillèrent dès l'aurore. Sous prétexte de célébrer la liberté, on trouble le sommeil des gens, quelle que soit leur opinion. Des gamins répondirent à l'artillerie officielle en faisant éclater des pétards dans la rue.
Il fallut me lever.
Je sortis. La ville était en gaieté, déjà. Les bourgeois venaient sur leurs portes et regardaient les drapeaux d'un air heureux. On riait, on s'était levé pour la fête, enfin !
Le peuple était en fête, Pourquoi ? Le savait-il ? Non.
On lui avait annoncé qu'il serait en fête ... il était en fête, ce peuple. Il était content, il était joyeux. Jusqu'au soir il demeurerait ainsi en allégresse, par ordre de l'autorité, et demain ce serait fini. [...]
J'errai dans les rues jusqu'à l'heure où la joie publique devint intolérable. Les orphéons mugissaient, les artifices crépitaient, la foule s'agitait, vociférait. Et tous les rires exprimaient la même satisfaction stupide.
Je me trouvai, par hasard, devant l'église dont j'avais vu de loin, la veille, les deux tours. J'y entrai. Elle était vide, haute, froide, morte. Au fond du chœur obscur, brillait, comme un point d'or, la lampe du tabernacle. Et je m'assis dans ce repos glacé.
Au-dehors j'entendais, si loin qu'elles semblaient venues d'une autre terre, les détonations des fusées et les clameurs de la multitude. Et je me mis à regarder un immense vitrail qui versait dans le temple endormi un jour épais et violet.
Il représentait aussi un peuple, le peuple d'un autre siècle célébrant une fête d'autrefois, celle d'un saint assurément. Les petits hommes de verre, étrangement vêtus, montaient en procession le long de la grande fenêtre antique. Ils portaient des bannières, une châsse, des croix, des cierges, et leurs bouches ouvertes annonçaient des chants. Quelques-uns dansaient, bras et jambes levés.
Donc à toutes les étapes du monde, l'éternelle foule accomplit les mêmes actes. Autrefois on fêtait Dieu, aujourd'hui on fête la République !
Guy de Maupassant, Jour de fête , 1886, in Contes et nouvelles.