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Nul doute : les antennes d'autoradio brûlent mal... Mais au fil du temps, et au hasard de l'environnement immédiat, le recherche de combustibles de chauffage s'est avérée fructueuse : bois, tourbe, charbon, pétrole, électricité -elle-même d'origine très diverse-, soleil... Pour finir par admettre que le bois est une énergie renouvelable et propre, à condition qu'il soit convenablement brûlé.
Ce fut d'abord, au faîte de l'arbre, une branche qui renversa sa charge de neige. La neige tomba sur la branche qui était au-dessous et, à son tour, celle-ci culbuta son faix. La chute continua, silencieuse et rapide, d'échelon en échelon. Puis, comme un bloc, la blanche avalanche s'abattit sur l'homme et sur son feu. La seconde d'après, rien ne restait du brasier rougeoyant. Plus rien, qu'un lit informe de neige fraîche, étalée. L'homme en fut terrifié. Terrifié comme s'il venait d'entendre prononcer sa condamnation à mort.
Brusquement, enlevant ses mitaines avec ses dents, l'homme découvrit ses deux mains. Entre elles, il saisit le paquet d'allumettes. Les muscles de son bras, qui n'étaient pas encore gelés, lui permirent ce double mouvement. Puis, serrant fortement les deux mains, il frotta sur sa cuisse tout le paquet. Une flamme unique en jaillit. Les soixante-dix allumettes s'allumaient d'un seul coup !
Il n'y avait point de vent pour les éteindre et, tenant sa tête de côté afin d'éviter la suffocation du soufre enflammé, l'homme approcha ce feu ardent de l'écorce de bouleau. Il lui sembla, à ce moment, percevoir aux paumes une étrange sensation. C'était sa chair qui brûlait. Elle brûlait assez profondément sous l'épiderme pour qu'il en sentît la douleur. La douleur s'intensifia. Et l'homme, cependant, l'endurait, tenant le petit faisceau de flammes au-dessus de l'écorce de bouleau qui continuait à refuser de s'allumer, tandis que les mains de l'homme continuaient à brûler. Enfin, n'y pouvant plus, il lâcha tout. Les allumettes tombèrent en grésillant, dans la neige. Quelques unes pourtant atteignirent l'écorce de bouleau qui flamba. Sur cette flamme, l'homme se mit à étendre ses herbes sèches et ses menues brindilles. Il les ramassait, tant bien que mal, entre les deux paumes de ses mains. S'il rencontrait du bois pourri, ou de la mousse verte, adhérent aux brindilles, il les éliminait avec ses dents. Tout cela fort gauchement, mais avec une inlassable ténacité. Que cette flamme vécût ou s'éteignît, cela signifiait pour lui ou la vie ou la mort. Il sentait le sang se retirer de plus en plus de la partie extérieure de son corps et il en éprouvait un tremblement qui ne faisait qu'aggraver sa maladresse. Une grosse touffe de mousse verte tomba soudain en plein sur le petit feu de l'homme. Du bout de ses doigts il tenta de l'enlever. Mais le tremblement qui l'agitait tout entier provoqua un mouvement trop brusque, qui déplaça le centre du feu. En sorte qu'herbes sèches et brindilles, éparpillées, cessèrent de flamber. Il s'efforça de les rassembler à nouveau. Son tremblement l'emporta sur sa volonté. Des petites brindilles dispersées, monta une dernière fumée et tout s'éteignit. L'allumeur de feu avait échoué.
Jack London : Construire un feu (1908)