Dans ses deux premiers films, Jacques Tati opposait déjà le moderne à l'ancien, le futur au passé, ou l'Amérique à l'Europe, l'urbain au rural... Pourtant, si la mixité sociale est bien présente dans la pension des « Vacances », à l'heure des congés payés, dans Mon Oncle, ces deux mondes ne cohabitent plus ; une palissade, frontière branlante, sépare les deux quartiers, l'opulence et la pauvreté,la prétention et la modestie, le stress et le bonheur de vivre, l'égoïsme et la convivialité... Les Arpel, couple bourgeois aisé, viennent d'étrenner leur luxueuse villa à l'architecture futuriste, dans le quartier neuf, avec leur fils Gérard. Celui-ci mène une existence ennuyeuse, entre un père absent et une mère obsédée par le ménage (Gérard associe le son de l'aspirateur à la présence de sa mère !).
Seuls comptent les moments passés à l'arrière du Solex de son Oncle, M. Hulot, à sillonner le vieux quartier où il habite.
Le film s'articule autour de ce contraste et Tati n'y va pas avec le dos de la caméra : fustigeant le snobisme, le conformisme, un modernisme déshumanisant (la cuisine-laboratoire-clinique, le jardin au dessin torturé, les fermetures électroniques agressives ou l'idiote et gargouillante fontaine-poisson... seront les prétextes à des gags inventifs parfois répétitifs). On ne communique pas dans cette maison où « tout communique », roucoule Mme.Arpel !
Visionnaire, Tati pose, avec humour et insistance, des questions très actuelles sur l'architecture et l'urbanisme, les services de proximité, la mixité sociale, les relations parents-enfants, la place de l'automobile dans nos villes... Mais Mon Oncle est avant tout un grand film comique : Jacques Tati, de son style original et poétique, impose un rythme nouveau aux scènes et aux gags, développe un cinéma populaire, ambitieux et exigeant.
Le film s'achève sur une note optimiste, père et fils, main dans la main, unis dans une complicité farceuse qu'ils devront apprendre à préserver.