Les biffins se rebiffent
Que peut-on espérer trouver dans ces boîtes "Poubelle" ?
La mise en place du tout à l'égout, et surtout le ramassage organisé des ordures ménagères n'arrangent pas les affaires des chiffonniers.
Les boîtes du Préfet Poubelle sont accusées de diviser par deux les revenus des chiffonniers.
Avant l'arrêté, un chef de famille avec sa femme et ses trois enfants gagnait 10 Frs par jour, soit 2 Frs par personne en moyenne.
Depuis qu'on ne peut plus vider les ordures sur la voie publique, 50 % des détritus utilisables que recueillaient les chiffonniers sont perdus pour l'industrie française.
Et au lieu de 2 Frs par jour, les chiffonniers gagnent à peine 1 Fr. Je suis marchand de chiffons ! J'employais, avant l'arrêté, six hommes et un certain nombre de femmes. J'achetais en moyenne pour 500 Frs par jour de détritus ; depuis, je n'en achète plus que pour 140 ou 150 Frs ; au lieu de six hommes, je n'en emploie plus que trois, et sur dix ou douze femmes, j'ai été obligé d'en renvoyer la moitié. Or ces hommes et ces femmes, qui ne peuvent plus travailler chez moi, ne trouvent pas plus d'ouvrage chez mes confrères, ils sont sur le pavé de Paris, il leur est impossible de s'employer. Il est évident que ces femmes ne peuvent guère aller faire de la couture ou de la lingerie.
Voilà la crise que nous subissons.
Extrait de la déclaration de M. Potin, maître chiffonnier, à la Commission dite des 44, cité par Joseph Barberet in Le travail en France : monographies professionnelles.
Les maîtres chiffonniers et les piqueurs s'unissent pour défendre leurs intérêts auprès des autorités. Ils obtiennent qu'un chiffonnier participe aux tournées des tombereaux d'enlèvement des ordures.
L'entrée en vigueur progressive de l'arrêté de 1883 d'Eugène Poubelle marque la fin de l'âge d'or des chiffonniers.
Les chiffonniers, glaneurs nocturnes,
Tristes vaincus de maints combats,
Vers minuit quittant leurs grabats,
Dans l'ombre rôdent taciturnes.
La Hotte sur leurs reins courbés
Se dresse altière et triomphante ;
Voici ce que cet osier chante
Sur ces échines de tombés :
« Moi, la Hotte nauséabonde,
Épave où vivent cramponnés
Les parias et les damnés,
L'écume et le rebut du monde,
Fosse commune à tous débris,
Où ce qui fut Hier s'entasse,
En juge, chaque nuit, je passe,
Fatal arbitre du mépris.
À la lueur de sa lanterne,
Mon compagnon qui fouille au tas
Ramasse tout : chiffons, damas,
Sans que sourcille son œil terne ;
Tout ! auréoles de clinquant,
L'honneur vendu, des ailes d'ange ;
On trouve en remuant la fange
Les vertus mises à l'encan ;
Fausses grandeurs, fausses merveilles,
Et tant d'autres choses encor ;
Vieux satin blanc aux trois lis d'or,
Velours vert parsemé d'abeilles.
Dernier et fatal ricochet,
Tout va, tôt ou tard, à la hotte
Du chiffonnier qui dans la crotte
Fouille du bout de son crochet. »
Charles Burdin, Heures noires, Paris : Librairie des bibliophiles, 1876