Une corporation
Ce couple de piqueurs devra économiser pour acheter sa « place » et améliorer ainsi sa situation. Car le piqueur (ou coureur) est au bas de l'échelle des chiffonniers :
il déambule de jour ou de nuit, armé de son crochet, de sa lanterne et d'une hotte.
Le sort du placier est plus enviable. Il a acheté sa place et, contre quelques menus services, récupère directement son butin auprès des concierges et des gens de maison. Les quartiers rupins sont très prisés.
...il y a d'abord les chiffonniers de naissance, c'est-à-dire les enfants des chiffonniers qui n'ont jamais fait que ce métier-là.
Ensuite, il y en a beaucoup qui, comme moi, l'hiver de 1860-61, étant sans travail, me suis mis à chiffonner le soir d'abord, parce que je craignais d'être rencontré par des personnes qui me connaissaient.
Pour qu'on ne me reconnût pas, je me coiffais d'un chapeau à larges bords que j'avais soin de rabattre sur mes yeux.
A cette époque, tous les soirs, je gagnais 6 ou 7 francs en travaillant jusqu'à minuit ou une heure du matin. (...) Lorsque le beau temps revint, et que le travail reprit dans mon métier de menuisier, je ne cherchai pas d'ouvrage, je continuai le chiffonnage et je m'enhardis à le pratiquer le matin. Ne gagnant que 3,75 francs dans la menuiserie, prix de la journée en 1860, je préférai chiffonner parce que je gagnais davantage et que j'étais plus libre.
Extrait de Notes d'un chiffonnier de Desmarquest, in Le Travail en France. Monographies professionnelles de J. Barberet.
Les maîtres chiffonniers, eux, sont riches : ils achètent le produit des fouilles des piqueurs et des placiers, emploient du personnel pour trier, et revendent par wagons à l'industrie les textiles, les os, les métaux... Au milieu du XIXème siècle, on évalue à 15 000 le nombre de chiffonniers parisiens et au moins 100 000 en France.