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Le chiffonnier, ce philosophe des nuits, qui s'en va, dans la ville, la hotte sur le dos et le crochet à la main, je ne sais pas si nous avons le droit de placer son industrie parmi les petits métiers. La plupart du temps, le chiffonnier est un philosophe grave et sérieux qui dort tout le jour, qui travaille toute la nuit. Le chiffonnier est inexorable comme le destin, il est patient comme le destin : il attend ; mais quand l'heure du crochet a sonné, rien ne peut arrêter son bras. Tout un monde a passé dans sa hotte! Les lois de l'Empire, dans cette fosse ambulante, courent rejoindre les décrets républicains ; tous les poèmes épiques depuis Voltaire y ont passé; tout le journal, depuis trente ans, s'est englouti dans cet abîme sans fond, non pas sans avoir dévoré tout ce qui s'était remis debout. La hotte du chiffonnier, c'est la grande voierie où viennent se rendre toutes les immondices de la prose, des vers, de l'éloquence, de l'imagination, de la pensée. Sous ce rapport, le chiffonnier est un être à part, qui mérite son histoire à part. Le chiffonnier est bien mieux qu'un industriel : le chiffonnier est un magistrat, le magistrat qui juge sans appel de la gloire humaine ; il est tout à la fois le juge, l'instrument et le bourreau.